On se souvient jusqu'à la fin de sa vie de nombreux événements heureux: les premiers anniversaires et les Noëls de l'enfance, les premiers baisers, les premiers voyages, le mariage.
Mais il y une autre série de moments qu'on n'oublie pas, et dont on se souvient avec beaucoup d'émotion! J'aurais peine à croire que je suis le seul. Ce sont les moments où l'on passe proche de la mort!
Quand j'y repense, plusieurs flash me passent devant les yeux. Mon premier dérapage incontrôlé sur les routes enneigées du Québec, mon trek au milieu de la jungle du Guatemala inondé par les pluies diluviennes d'un ouragan...
Cette série inclut désormais deux moments au parc Kruger en Afrique du Sud. Pour ceux qui ne le connaissent pas, le parc Kruger est une immense réserve (d'une taille comparable à celle de la Belgique) situé tout à l'est de l'Afrique du Sud. C'est un lieu magique dans le sens où ce parc est aménagé de quelques routes - les principales en asphalte, les secondaires en terre battue - et que l'on peut ainsi s'y balader avec une voiture de ville au milieu de la savane la plus sauvage! Vous pouvez même vous louer une smart ou une Fiat Cinquecento et aller rouler au milieu d'éléphants, de girafes et d'hippopotames tous plus gros que votre char (qc) / voiture (fr).
Pour dormir, le parc dispose de camps encerclés de grillage ou de palissade. Le premier soir, nous avons ainsi dormi dans une rondavel, une de ces huttes rondes typiques des tribus du sud de l'Afrique.
Alors que le soleil se couche, on entend de forts gémissements rauques au loin, comme si on étranglait quelque cochon géant. Le garde nous dit qu'il s'agit d'hippopotames. Les hippos sont nocturnes. C'est le bruit qu'ils font le soir en se réveillant et s'activant. En tout cas, c'est pas moi qui vais aller checker (qc) / vérifier (fr) leur haleine matinale! Il puent déjà bien assez de jour!
Les grognements des hippos (et oui, ça "grogne" un hippo) font finalement la job (qc) / l'affaire (fr) pour remplacer les craquettements des cigales. Et on finit par s'endormir. Pourtant, une nuit dans la sauvage savane ne peut pas se passer aussi tranquillement qu'une nuit en Provence...
Au milieu de la nuit, l'envie d'assouvir un besoin naturel me réveille. Je mets ma lampe frontale et sors de la hutte pour me diriger vers les lieux d'aisance. Pour cela, je dois longer le grillage du camp, un grillage bien mince si vous me demandez aujourd'hui mon avis, et haut d'à peine 2m. Vous pouvez le deviner sur la précédente photo, au fond à droite. Il est proche de 3h du matin. La nuit n'est pas trop obscure. A posteriori j'en déduis qu'une demi-lune devait briller ce soir-là. Mais à cet instant là, ce n'est pas ce que je me dis. Etant donné le contexte, je ne me dis pas grand-chose en fait. Les rares ressources disponibles dans mon cerveau sont concentrées à me faire mettre un pied devant l'autre, avec l'espoir à chaque pas que je vais bien dans la bonne direction. Car mon sens de l'orientation ne fonctionne qu'en mode "instinct", il ne reçoit pas assez d'énergie pour tout analyser autour de lui.
Je suis donc dans cette démarche nocturne et gauche, quand tout à coup j'entends un crac à quelques mètres à ma droite! Un gros crac!
J'ai beau être endormi, je sais être au milieu de la savane. Seul, à moitié nu et sans arme au milieu de la nuit dans la savane, laissez-moi vous dire qu'on n'aime pas les gros cracs!
Ma tête se tourne donc résolument vers la droite à la recherche du quelque chose qui a produit le crac en question. Ma lampe frontale est encore en train de chercher dans la pénombre quand dans la périphérie de mon regard je vois un mouvement de branche. Ma tête se recentre. Et je découvre sous mes yeux ébahis un énorme éléphant!! Probablement le plus gros éléphant que j'ai vu de ma vie! Il est là, juste là, à 2m de moi, juste de l'autre côté du grillage. Apparemment, il est là tranquille à bouffer les branches d'arbre à côté de mon camp!
Car pour ceux qui ne sont pas au courant, sachez que les éléphants raffolent des branches d'arbre! Vous, vous aimes les frites? Oui! Ben eux ils aiment les branches d'arbre!
Donc mon éléphant est là, à 3h du mat à bouffer les branches d'arbre. Il s'est sans doute dit: "Je trouve qu'il y a trop de ces singes à deux pattes bizarrement colorés pendant la journée, je vais revenir bouffer mes petites branches la nuit, ça va être cool!" Mais enfin cool jusqu'à ce que Clément vienne lui foutre la lumière de sa lampe frontale direct (fr) / drette (qc) dans la gueule!
Ci-dessus, avec mes maigres talents d'artiste, une reconstitution du moment où j'ai éclairé l'éléphant dans la face! Voyez la surprise dans ses yeux!
Pour moi l'instant était magique. Un éléphant sauvage en pleine nuit en train de se repaître de branches (alors que pour ma part, je ne serais même pas game (qc) / capable (fr) d'avaler un cure-dent).
Pour lui l'instant était tragique. En plein milieu de son repas, un touriste débarque. Il va pas sortir l'appareil photo flash, j'espère!
Fait que je le regarde, il me regarde, je le regarde, il me regarde. On partage ensemble ce moment unique!!! Mais... Au regard de ce qu'il a fait juste après, je peux vous dire qu'on en avait pas la même vision.
Ce que j'imagine, c'est qu'après une dizaine de secondes avec ma lumière dans sa face, il a dû se dire: il commence à me faire chier ce petit c** (fr) / c***** (qc)! Là, il a commencé à reculer, lentement et maladroitement. Ça a l'air (qc) / Il semble (fr) que les éléphants ne naissent pas naturellement avec la marche arrière. D'ailleurs, il ne faisait même pas bipbip comme un camion. Il a reculé, toujours en me faisant face, d'une mètre, puis deux, puis trois. Arrivé à cinq mètres de la barrière. Il s'est dit: "C'est ici que ça se passe!"
Il s'est arrêté à peu près dans cette position là. Face à moi.
Pour moi le moment est toujours magique. Je n'ai jamais vu un éléphant faire marche arrière.
De son côté l'éléphant continue d'accumuler. Quelques secondes passent et il finit par se dire: "C'est maintenant que ça se passe!"
Et là!...
Il a baissé la tête, front en avant, et il a commencé à me charger!
Ma respiration s'arrête. Au premier instant, mon cerveau ne comprend rien. Puis, il refuse de comprendre. Il se met à me dire: "Je ne comprends pas pourquoi! On avait du fun ensemble! Pourquoi il me charge?" Mais là mon instinct reprend le dessus sur ma raison: "On s'en fout! Fais quelque chose! Il y a un éléphant en train de te foncer dessus!" Et oui il me fonce dessus, il devient à chaque pas plus gros dans mon champ de vision! A chaque pas sa tête semble balancer de plus en plus à gauche à droite, comme une tête de requin fonçant sur sa proie. Il produisait certainement des bruits et des vibrations avec ses pas lourds, mais je ne m'en souviens pas. Le cerveau filtre tout ça en période de stress! En fait, la seule pensée qui circule dans mon cerveau c'est: "Il faut que tu plonges à gauche ou à droite! Et il faut que tu le fasses juste avant qu'il ne t'arrive dessus! Mais surtout ça doit être au dernier moment sinon il va ajuster sa trajectoire! Mais pas trop au dernier moment car sinon ce sera ton dernier moment mon pote! Mais il faut que tu choisisses: à gauche ou à droite? à gauche ou à droite? Oublie pas, au dernier moment mais pas trop au dernier moment! à gauche ou à droite? Ca veut dire quand ça: au dernier moment mais pas trop?! P***** (fr) / T******* (qc), à gauche ou à droite?!?!?"
Je me posais encore toutes ces questions quand... L'éléphant s'est arrêté. De lui-même. Pourquoi s'est-il arrêté je ne sais pas. Il a vu peut-être vu le grillage? (Encore qu'il aurait pu le défoncer sans trop d'effort) Il s'est dit peut-être dit que je n'en valais pas la peine? Il était peut-être fatiguê?
En tout cas, il s'est arrêté de me charger à un mètre du grillage. Il s'est immobilisé. Il m'a regardé une dernière fois. Quelques secondes. Qui m'ont paru une éternité. Puis il est parti sur le côté. Il m'a laissé tout seul au milieu de la nuit à éclairer le grillage et l'arbre aux branches manquantes.
Je ne l'ai jamais revu.
Après quelques instants, je suis revenu à moi. Je me suis remis en marche vers les lieux d'aisance. Puis je suis retourné me coucher. Encore en train de me demander si cet éléphant était un rêve ou non... En revoyant l'arbre défoncé le lendemain, je me rendu compte que ça ne pouvait qu'être vrai!
Un détail anecdotique, en y repensant les jours suivant, une révélation m'est venu en tête. J'ai remarqué que ma raison me dit "je" (je pense qu'il vaut mieux faire ça) mais que mon instinct me dit "tu" (tu ferais mieux de faire ca mon gars!). Étrange, non? En est-il de même pour vous?
PS: ok, l'éléphant n'était peut être pas si énorme. Mais à 3h du matin, et à 2 mètres de soi, beaucoup d'éléphants ont l'air énorme. Et celui-ci était au moins très gros, c'est sûr!